François Calay

Ma tante Eva Calay

Eva Calay (1908-1992)

- devenue en 1932 "Soeur Odile Léonie"
- puis "Mère Odile Léonie"
- puis, après Vatican II : "Soeur Eva Calay"
- et depuis 2010 : Juste parmi les nations

Ma tante : une religieuse chrétienne, Fille de la Croix à Liège, reconnue sainte par beaucoup, mais ... qui ne sera probablement jamais officiellement canonisée ... sauf par l'état d'Israël, de qui elle a reçu post mortem la plus haute distinction honorifique.

Parmi d'autres faits remarquables de sa vie, elle fut coordinatrice de la construction, puis de la gestion de la clinique Notre Dame des Bruyères, à Bois-de-Breux, un hôpital pilote revendu récemment au CHU de Liège.

Elle fut "Soeur" pour certains, "Mère" pour d'autres à une autre époque (car les Soeurs qui avaient une position dans la hiérarchie étaient appelées "Mères"). Mais pour moi, c'est ... ma Tante !
C'est à titre de neveu que je publie cette page biographique. Tout ce qui s'y trouve n'engage que moi, en aucun cas la communauté des Filles de la Croix dans laquelle elle a vécu.

Si vous désirez écouter l'émission radio qui lui a été consacrée à la RTBF dans le cadre de "Mon grand père ce héros", veuillez cliquer sur le lien suivant : http://www.calay.be/eva/eva.mp3 (10 Mo)

Si vous désirez écouter l'émission radio qui lui a été consacrée par RCF dans le cadre de "Témoins d'aujourd'hui", veuillez cliquer sur le lien suivant : http://www.calay.be/eva/eva2.mp3 (21 Mo)

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Biographie

Calay Eva1908 : naissance le 10 décembre, à Liège
Eva est la quatrième enfant d'une famille de six, habitant rue de Berghes, à Liège. Elle a cinq soeurs et un frère, tous en excellente santé à l'exception de la cadette, qui meurt en 1918 à l'âge de un an.
Durant la famine à Liège de la guerre 1914-18, Eva est envoyée par ses parents chez des cousins de sa famille maternelle, à Sittard (Pays-Bas). Son papa Odilon Calay est très actif dans la résistance, notamment en mettant sa méthode de sténographie au service du transfert de documents secrets.

1921 : décès de sa maman. Eva a 13 ans
Sa maman, Léonie Delleur, décède d'un problème cardiaque le 7 avril 1921, laissant orphelins de mère une famille de cinq enfants.
Plus d'un an plus tard, Odilon, son papa, se remarie avec Jeanne Didden, elle-même également veuve mais sans enfants. Jeanne, une personne très affectueuse, était une petite cousine de Léonie, c'était donc la 'cousine Jeanne', que toute la famille a progressivement appelée 'Tante Jeanne'.

1925, les "années folles", elle a 17 ans
Eva a 17 ans lors des 'années folles' de 1925, début de l'émancipation féminine. Elle fait un régendat en littérature à l'école normale de la rue Hors-Château, à Liège. Eva, vraie femme de son temps, est très coquette (et le restera jusqu'à la fin de sa vie !) et possède une très grande ouverture d'esprit.

1931 : entrée chez les Filles de la Croix à la maison-mère, à l'âge de 23 ans
Eva s'est orientée vers la vie religieuse car elle voulait faire quelque chose pour les démunis, son rêve était de partir en tant qu'enseignante au Congo. Si elle s'était mariée, elle n'aurait pas pu avoir ce type de projet, ni donner libre cours à sa créativité et à son esprit entreprenant, ce qu'elle va pouvoir largement faire durant sa vie d'engagement religieux.
Ce désir d'expatriation avait également guidé le choix de ses études, car même si la société civile de l'époque s'occupait peu des gens démunis, le gouvernement belge, lui, soutenait les missionnaires du Congo qui faisaient la promotion de l'enseignement et des soins de santé.

Calay Eva 1931Elle entre chez les Filles de la Croix, à la maison-mère de la rue Hors-Château, à l'âge de 23 ans, son papa l'ayant obligée à faire des études avant de s'engager dans la vie religieuse, ce qui n'est d'ailleurs pas banal pour l'époque
Elle a fait également des études très poussées de sténographie, y compris beaucoup de championnats, et continuera toute sa vie à prendre ses notes en sténo, confidentielle, rapide, bel hommage à son papa, inventeur de la méthode de sténo en question.

Notre famille, constituée principalement d'artisans en milieu rural, n'avait pas généré jusque-là de vocations religieuses comme cela aurait été le cas d'une famille urbaine. La seule exception aurait été un cousin (côté maternel) : Martin Hubert Rutten, qui fut évêque de Liège de 1901 à 1927. Mais même si le mythe familial lui attribuait une relation de cousinage par la grand-mère d'Eva qui s'appelait Gérardine Rutten, nos recherches généalogiques récentes, remontant jusqu'en 1580, n'établissent aucun lien avec l'évêque en question.

Eva, qui a beaucoup de piété filiale, choisit les prénoms de ses parents comme nom de religieuse : elle s'appellera Soeur Odile-Léonie, du prénom de son papa : Odilon, et de sa maman, Léonie.

Les Filles de la croix
La congrégation des Filles de la Croix est un Ordre religieux d'origine liégeoise, fondé en 1833, dans le quartier de la rue Hors-Château, par Mère Marie-Thérèse, née Jeanne Haze, fille du secrétaire du dernier Prince-Évêque, un lettré ruiné par la révolution de 1789. La règle, d'inspiration et d'obéissance Ignacienne absolue, propose aux religieuses l'éducation des filles, les soins aux malades et autres oeuvres de charité. Dès la fondation, les oeuvres se diversifient, avec la création de nombreuses écoles, d'hospices, de pensionnats et d'orphelinats. Les soeurs visitent les pauvres et les malades. Elles prennent en charge la prison des femmes, située à l'époque au palais des Princes-Évêques et ouvrent un refuge pour les prostituées repenties. Quand la fondatrice meurt en 1876, la congrégation compte plus de 900 religieuses, avec des maisons aux Indes, en Allemagne et en Angleterre.
Les Filles de la Croix rassemblaient jusqu’à 3.000 religieuses au début du 20è siècle. Marie-Thérèse Haze sera proclamée bienheureuse en avril 1991.


1932 : Enseignante à Saint Martin puis à Cointe dès 1933
L'autorité de la communauté ne cède pas au désir intense d'Eva de devenir missionnaire au Congo : les lois concernant l'enseignement en Belgique devenaient à cette époque plus strictes, et exigeaient le diplôme de régent pour enseigner. Eva avait cette qualification ... et dut donc rester en Belgique.
Cette décision fut une extrême épreuve pour elle, car c'était une brisure à son idéal de départ. Mais dans le cadre de vie de l'époque, les décisions d'autorité étaient reçues avec respect, honneur et loyauté, surtout dans une communauté d'inspiration Ignatienne.
Elle restera donc en Belgique, et enseignera tout d'abord au Mont Saint Martin, dans une école des Filles de la Croix qui forme des graduats, puis à Cointe, dans un pensionnat avec école moyenne, où beaucoup d'élèves étrangères, notamment anglaises et allemandes, viennent pour apprendre le français.

vitrail1939 : Voeux perpétuels, enseignante à Bèfve
Après huit ans de postulat puis de noviciat, Eva prononce ses voeux d'engagement perpétuel, à l'âge de 31 ans.
Notons sa grande maturité, ainsi que les principes de loyauté et d'obéissance que lui a transmis sa famille. Cette maturité atypique, son expérience de vie et sa pratique de l'autorité, furent des particularités qui lui permirent d'accomplir de grand projets, même si ce fut à l'origine de certaines jalousies dans son entourage.

Eva vit et enseigne à Bèfve : les Filles de la Croix y dirigent une école de filles avec pensionnat, puis conjointement une maison de repos pour personnes âgées.
Pendant la guerre 1940-45, Eva est particulièrement active et s'implique dans l'élevage d'animaux dont l'existence est cachée à l'occupant. Elle en a compris l'importance de l'apport alimentaire.
Une de ses consoeurs et Eva cachent des enfants Juifs, qu'elles intègrent sous de faux noms au pensionnat. Pour cette bravoure, elles recevront toutes deux de l'Etat d'Israël, post mortem, en 2010, la distinction de "Juste parmi les nations".
Il se passe également l'évènement du 15 juillet 1942, qu'elle racontera à ses intimes, et qui est à l'origine du vitrail "Ne craignez pas je veille" situé dans le hall de la clinique de Bois-de-Breux.

En 1945, elle est nommée assistante locale auprès de la supérieure de la communauté. Malgré la guerre, elle est toujours aussi joviale, sa joie est communicative, son émerveillement est constant. La guerre ne l'a pas frappée comme ce fut le cas de son frère Lucien, qui revint à cette même époque de captivité en Allemagne.

Chaque maison communautaire des Filles de la Croix est dirigée par une Mère Supérieure, entourée de une à trois assistantes, suivant la dimension de la communauté. La Mère Supérieure est nommée pour six ans, avec possibilité de prolongation(s) par 3 ans sous décision de Rome.

1949 : Supérieure à Bèfve et enseignante.
A partit de 1949, Eva, qui a 41 ans, est amenée à vivre de plus en plus de responsabilités : en plus de sa fonction d'enseignante, elle est nommée Supérieure de la communauté de Bèfve (Thimister), tout en y devenant directrice de l'école (primaire et moyenne, avec pensionnat) ainsi que de la maison de repos.

Lorsque le nombre des pensionnaires à l’école diminua, elle profita des locaux libérés pour améliorer le confort des dames pensionnaires. Elle initia les premiers "appartements" pour dames âgées dans lesquels elles avaient, outre leur chambre, un sanitaire complet et un salon personnalisé. C'est quelque chose de tout à fait prophétique, qui sera repris par la suite dans de nombreux autres établissements.

Dans tout ce qu'elle entreprend, se trouve le souci du bien-être de l'autre. Elle est animée d'une Foi en la vie, doublée d'une Espérance, toutes deux uniques et dignes des plus grands Saints. Pour elle, toute la création : les hommes, les animaux (qu'elle considérait avec le même respect que des personnes), la nature, reflètent le Créateur. Tous les combats qu'elle a engagés pour alléger la souffrance d'autrui étaient profondément mûris dans sa vie de prière, et elle les menait jusqu'au bout, coûte que coûte. La suite de sa vie va d'ailleurs bien nous le démontrer.

Calay Eva 19571955 : Econome générale à la maison-mère, rue Hors-Château
Chez les Filles de la Croix, la Mère Econome générale est nommée sans limite de temps. C'est elle qui gère les dépenses, les décisions des travaux, etc. de toutes les communautés réparties dans le monde entier.

En 1955, à l'âge de 47 ans, elle quitte Bèfve et s'établit à la maison-mère de la rue Hors-Château, pour y assumer les fonctions d'Econome générale de la congrégation. A cette période, elle fut dans la nécessité de s'entourer de conseillers pour négocier au bénéfice de la congrégation la vente de certains immeubles, ainsi que d'autres adjudications parmi les plus difficiles.

Parallèlement, elle s'occupait des prostituées de la rue des Aires, une rue voisine du couvent. Les prostituées de l'époque étaient largement exploitées et vivaient dans la misère. Lorsqu'elle nous en parlait, elle les dénommait : "mes petites amies". Elle allait régulièrement leur rendre visite et leur organisa des goûters.

1963 : Econome générale et Conseillère générale de la Mère générale
Chez les Filles de la Croix, il y a 4 conseillères générales autour de la Mère générale, qui ne réside pas à Rome mais à Liège.

En plus de ses fonctions d'Econome générale, elle est nommée Conseillère générale, fonction qu'elle va garder jusqu'en 1970.
Comme elle jouit d'une excellente santé, d'un grand sens pratique, d'une connaissance parfaite de l'anglais et du néerlandais, c'est à Eva que la congrégation demande de parcourir le monde pour rendre visite aux différentes Fondations des Filles de la Croix. Elle effectue nombre de visites en remplacement de la Mère générale de l'époque, qui a une mauvaise santé.

C'est ainsi qu'elle va en Inde (1965), en Allemagne, en Angleterre, au Congo, .... Son rêve de jeunesse se réalise enfin. Elle revient de ces voyages chargée d’émotions, de souvenirs et de photos, qu'elle nous montre lors de ses visites. Elle avait déjà perçu que l’avenir de la congrégation avait basculé de continent.

familleC'est aussi l'époque du Concile du Vatican, et elle participe à l'instauration dans la communauté de certaines grandes décisions d'ouverture : les soeurs peuvent désormais rentrer occasionnellement dans leur famille, l'habit religieux se simplifie, etc. Ce sont des modifications qui avaient grande importance et demandaient beaucoup de doigté : notre tante nous partageait qu'il y avait parmi les religieuses deux courants : les progressistes et les partisanes du statu quo. Eva était, radicalement, progressiste ...

1965 : création de l'asbl 'ND des Bruyères' dont elle est secrétaire trésorière
Sauf quelques cas rarissimes, toutes les cliniques de l'époque, par tradition historique, sont gérées par des congrégations religieuses. Les Filles de la Croix possédaient à Bois-de-Breux, depuis 1920, une petite clinique de 50 lits, le château des Bruyères, où on soignait, entre autres, les mineurs blessés des charbonnages. On y accouchait à l'occasion, notamment des femmes juives pendant la guerre de 40-45. La ferme attenante au château approvisionnait la clinique en produits frais, ce qui fut d'ailleurs une providence pendant la guerre.

En 1965, la congrégation décide de transférer les activités de son centre médical du Beauregard (situé à Liège), et celles du château des Bruyères, dans une seule institution hospitalière, une nouvelle clinique de 250 lits. La construction de cette clinique fut décidée pour répondre aux normes ministérielles, mais aussi parce que la région liégeoise ne possédait pas d'hôpital cohérent et moderne. Il y avait dans cette partie du pays une énorme carence en matière d'hospitalisation.

En tant qu'économe générale, Eva connaît beaucoup de monde, elle est à l'aise dans tous les milieux : l'université, la politique, les syndicats, les banques, les entrepreneurs, les fournisseurs, etc. La communauté la charge donc de mener à bien les travaux de construction et d'aménagement de la "nouvelle clinique Notre-Dame des Bruyères". Le projet prend corps. C'est un énorme défi.

Elle fait alors les études de gestion hospitalière à la faculté de médecine de l'UCL (à 59 ans), et parcourt l'Europe pour visiter des hôpitaux modernes et étudier la manière dont ils sont construits, structurés, organisés, mais avec une attention particulière au sens humain des choses : c'est l'homme blessé et souffrant qui est important, c'est autour de ce besoin que, pour Eva, il faut focaliser le projet. Cela mobilise toutes ses énergies. Lors de nos visites familiales, elle nous raconte avec enthousiasme toutes ses découvertes.

1967 : début des travaux de la clinique de Bois-de-Breux
La construction de la clinique va durer 3 ans. Eva va donner libre cours à sa créativité, et la clinique sera un véritable hôpital-pilote, prophétique, initiateur, voire révolutionnaire.

Chaque fois que nous lui rendions visite, elle nous faisait visiter le chantier, et nous partageait ses découvertes, ses initiatives, mais aussi ses combats.
Parmi les nouveautés qu'elle a adoptées ou imaginées, je me souviens de certains éléments :
- construction de toute la clinique en fonction de la largeur des lits (cela peut paraître surprenant, mais ce n'était pas le cas des autres hôpitaux de l'époque !)
- position et automatisation, sécurité des ascenseurs
- position du service des urgences pour une plus grande rapidité d'action
- système d'entrée et de couloirs adaptés aux voiturettes des personnes handicapées
- système de guichets et agencement des bureaux permettant de meilleurs rapports humains
- pédiatrie et maternité : concept de "La mère et l'enfant", qui peuvent rester ensemble
- création d'un restaurant accessible aux familles des malades
- décoration humanisée et attrayante
- souci d'agrément pour les patients mais aussi pour les soignants

La clinique des Bruyères, sauf information contraire, fut la première clinique non universitaire belge à introduire :
- un service spécifique de revalidation cardiaque (1970)
- une unité de soins palliatifs
- son propre véhicule SMUR
- un service de médecine nucléaire (1975)
- des dossiers médicaux informatisés (1997)

Clinique des Bruyères

1970 : présidente de l'asbl "ND des Bruyères", économe générale (-> 1977) et supérieure à Bois-de-Breux (->1982)
Eva est amenée à vivre de très grandes responsabilités, non seulement dans la construction puis la gestion de la clinique, mais aussi au sein de la communauté des Filles de la Croix.

Pourquoi toutes ces responsabilités ? Elle a des caractéristiques exceptionnelles que je décrirais, moi, son neveu, comme suit :
Eva Calay est une femme intelligente, joviale, qui a beaucoup d'autorité naturelle, tout en étant humble, docile et affectueuse. Elle est décidée, entière, accrochée à ce qu'elle fait dans ses projets. Sa diplomatie est sans compromission mais elle sait dissimuler ses états d'âme lorsqu'il le faut. Eva a une ouverture d'esprit extraordinaire sur le progrès. Elle est initiatrice et le restera jusqu'à son dernier souffle. Elle raisonne beaucoup avant d'agir. Elle a ce potentiel extraordinaire de pouvoir s'adresser avec aisance à tous les milieux. Elle est ferme, tout en étant cordiale, mais ne fait rien par autoritarisme, ni pour elle-même.
Car tout ce qu'elle fait, elle le fait par souci pour les autres, en empathie avec la souffrance d'autrui et la personne humaine. Elle est Religieuse au sens le plus fort du terme, cela transparaît à travers tout ce qu'elle est. Son entêtement (apparent) est toujours pour aider les autres. C'est de la charité militante, profondément fidèle à sa vocation de Fille de la Croix : tournée vers la misère et les pauvres. Elle a aussi une vie spirituelle considérable. Ses vertus de sainteté pourraient être reconnues largement.

1971, le 2 février, ouverture de la clinique mais sans inauguration.
La nouvelle clinique est entièrement fonctionnelle, l'ouverture est programmée pour le 2 février 1971. Mais les médecins vont la boycotter pendant plusieurs mois, car Eva s'attaque de front à leurs privilèges de riches et à leurs rentes de situation.

Eva ne négocie pas, elle est sans concessions : la clinique Notre Dame des Bruyères est une clinique destinée à soigner les gens pauvres et malades. Une clinique des Filles de la Croix a une vocation sociale, elle n'est pas là pour enrichir les médecins qui désirent majorer leurs honoraires dans un nouvel établissement hospitalier d'exception, dix ans à quinze ans en avance sur l'époque.

Calay Eva 1989S'inspirant du modèle de gestion hospitalière de l'université de Leuven, Eva impose un règlement d'ordre intérieur dans lequel il y a
- le tiers payant avec suppléments raisonnables jusque P2
- le personnel dépend de la direction et non plus des médecins
- le respect de la morale chrétienne et de la déontologie médicale
- l'imposition aux médecins d'utiliser le matériel de la clinique (et plus leur matériel personnel)
- la perception centrale des honoraires
- la participation des médecins aux frais du matériel sans droit de regard sur les achats
- la création d'un conseil médical

Ces dispositions sont généralisées de nos jours dans quasiment toutes les cliniques et hôpitaux, mais pour l'époque c'était téméraire et révolutionnaire. Aucune clinique privée n'acceptait le tiers payant !
Explication : le Tiers Payant c'est lorsque le patient ne paie que le ticket modérateur et que la clinique reçoit le paiement de la prestation directement la part de la mutuelle, mais plus tard. Cette pratique favorise financièrement les patients qui ne doivent pas avancer une grosse somme mais retarde pour la clinique la perception du montant.
Dans ce combat, Eva était d'ailleurs soutenue par les deux syndicats, car au point de vue idéologique cela rejoint l'idée sociale.

La clinique des Bruyères, ultra moderne, chauffée (c'était l'hiver), prête à fonctionner, restera donc vide pendant plusieurs mois. Eva tient bon jusqu'au bout, son acharnement va gagner et son projet social sera totalement appliqué. L'université de Liège est désireuse de mettre un pied dans une clinique d'avant-garde pour y former ses stagiaires, le risque est là aussi que l'université de Louvain s'y introduise, et donc la faculté de médecine de Liège va accepter les conditions d'Eva : la clinique ouvre progressivement ses services durant l'année 1971.

Eva aura dans la gestion journalière de l'hôpital une autorité indiscutée pendant les 20 ans qui vont suivre : rien ne la détournait de sa ténacité. A cause du boycott et de ses idées sociales sans compromis, elle aura des difficultés bien légitimes à laisser du pouvoir aux médecins. Car contre vents et marées, quand Eva Calay avait vu le bien-fondé d’une décision, elle tenait bon …surtout s'il s'agissait de protéger les plus démunis.

1982 : Après son premier infarctus (à 76 ans), elle est nommée Supérieure locale à Bèfve
Après 12 ans de vie et de travail effréné à Bois-de-Breux, elle subit son premier infarctus. Il faut qu'elle se repose ... la clinique doit apprendre à fonctionner sans elle ...
La congrégation la nomme Supérieure locale à Bèfve (Thimister), là où elle avait déjà vécu de 1939 à 1955.
Elle y retrouve la campagne, le silence, le repos, le souci des personnes âgées de la maison de repos dont la communauté s'occupe.

1986 : Présidente du conseil d'administration de la clinique de Bois-de-Breux
A 78 ans ... ! On la rappelle à Bois-de-Breux ... Elle n'a plus la gestion journalière de la clinique, mais elle garde les grandes décisions. Sa plus grande activité sera alors d'aider des gens, de toutes les manières possibles.

1992, le 16 janvier : décès à Bois-de-Breux (deuxième infarctus), à l'âge de 83 ans
Elle décède de son deuxième infarctus, quelques mois après l'hommage des 20 ans de la clinique, qui fut fêté dans un amphithéâtre du Sart-Tilman. Sa dépouille est enterrée dans le caveau des Filles de la Croix, au cimetière de Bressoux (une grande dalle sans noms).
C'est en lisant les lettres de condoléances reçues que nous, sa famille, nous sommes rendus compte du nombre de ses amis : beaucoup de gens parlent d'une amitié profonde avec elle, ce que nous ne soupçonnions pas.
Vis à vis de nous, malgré toutes ses charges pour sa communauté, Eva n’a jamais négligé ses attaches familiales et dans les difficultés, elle a été un soutien réel pour tous ceux qui ont eu recours à elle. Elle avait toujours l'attention juste et l'empathie pour chacun.

famille Calay
Visite familiale Rue Hors-Château en 1962

En 2002, les soeurs décident de vendre la clinique au CHU, sous bail emphytéotique
Au moment de sa reprise en 2002 par le CHU de Liège (qui ne construisit son hôpital du Sart-Tilman qu'en 1987), la clinique des Bruyères était en bénéfices, ce qui est rarissime dans les établissements de soins. Mais durant les dernières années, on n'y avait plus fait d'investissements ni de projets à long terme.

2010 : Eva Calay est honorée "Juste parmi les Nations"
Pour avoir protégé et caché des enfants Juifs dans l'école et le pensionnat de Bèfve (Thimister) pendant la guerre 40-45, Eva et une de ses consoeurs sont honorées en 2010 du titre de "Juste parmi les Nations".

"Juste parmi les nations" (en hébreu : חסיד אומות העולם, Hasid Ummot Ha-'Olam, littéralement "généreux des nations du monde") est une expression du Judaïsme traditionnel tirée du Talmud (traité Baba Batra, 15 b).
Le titre de "Juste" est décerné au nom de l'État d'Israël par le Mémorial de Yad Vashem.

Critères de choix
Depuis 1963, une commission a été créée pour décerner le titre de "Juste parmi les nations".
La commission respecte des critères précis et s'appuie sur une documentation méthodique reposant principalement sur les témoignages directs. Les dossiers permettant d’établir la reconnaissance d'un Juste doivent établir, avec plusieurs témoignages concordants, des faits probants tels que :
- le fait d'avoir apporté une aide dans des situations où les Juifs étaient impuissants et menacés de mort ou de déportation vers les camps de concentration.
- le fait d'avoir été conscient qu'en apportant cette aide, le sauveteur risquait sa vie, sa sécurité ou sa liberté personnelle, les nazis considérant l'assistance aux Juifs comme un crime.
- le fait de n’avoir recherché aucune récompense ou compensation matérielle en contrepartie de l'aide apportée

Conséquences de ce choix
Une personne reconnue comme un "Juste" se voit octroyer une médaille à son nom, un certificat officiel et son nom est gravé sur le Mur d'Honneur dans le Jardin des Justes à Yad Vashem (Jérusalem). Cette inscription remplace la plantation d'un arbre faute de place dans le mémorial. Ces symboles sont remis au "Juste" ou à ses représentants lors de cérémonies publiques.
Un Juste reçoit un versement mensuel au niveau du salaire moyen d'Israël. Diverses aides sanitaires et sociales lui sont accordées ainsi qu'à son époux(se). Le "Juste" qui est en difficulté - où qu'il réside - sera aidé par La "Fondation juive pour les Justes", établie à New York créée à cet effet. Le Fonds Anne Frank, établi à Bâle prend en charge les frais médicaux. Les "Justes" établis en Israël reçoivent une pension d'État.

Les lois de Yad Vashem autorisent : "à conférer la citoyenneté honoraire aux Justes parmi les Nations et s'ils ont disparu, la citoyenneté commémorative de l'État d'Israël en reconnaissance de leurs actions".

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"La sainteté ne vient ni du turban, ni de la barbe, mais du coeur."
Proverbe kurde

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