François Calay

Ne pas aimer Mozart ?

Histoire vécue

"Ce n'est pas moi que les gens ont applaudi, c'est mon image."

C'est ce que m'a confié sur son lit de mort une pianiste de renommée internationale, buvant l'alcool au goulot malgré sa cirrhose. Elle est décédée dans la solitude quelques jours plus tard. Il y avait quatre personnes à son enterrement.
J'ai consulté ses albums photos, où on la voit donner des concerts au Japon, aux Etats-Unis, ... les salles sont combles, les gens applaudissent debout.
Qu'avait-t-elle interprété ? Une musique écrite plusieurs siècles auparavant.
Quel était le souci du public ? Qui applaudissait qui ?

La réalité est là, infâme : l'apparence. L'art du rôle "bien joué".

moutonsExceller dans une fonction

Certains excellent dans une fonction, je les décris comme les bons 'fonctionnaires'.
La société les aime : ils sont soumis, appliquent ce qu'on leur a appris, et ne sont pas perturbateurs car ils ne remettent rien en question. Ils ne font rien avancer non plus, car ils sont criblés de peurs, ce qui bloque en eux toute initiative.
Mais ils sont fiables et sécurisants pour le système : ils obéissent sans discuter à l'ordre reçu, à l'image que l'on attend d'eux.

Ils peuvent être caméléons, corrompus, hypocrites, tout cela n'a pas d'importance : ce qui compte, c'est qu'ils appliquent ce qui est demandé, aussi inadapté que ce soit, sans poser de questions.

Ces 'fonctionnaires', il y en a partout et dans tous les domaines, ils peuvent exercer absolument toutes les professions : médecins, boulangers, enseignants, banquiers, chauffeurs d'autobus, politiciens, musiciens, architectes, etc.
Ce n'est pas une question de statut, mais d'état d'esprit.

Il est indispensable au bon fonctionnement social qu'il y ait un certain pourcentage de la population qui fonctionne de telle manière car ces individus assument les fonctions répétitives de façon correcte, du moins lorsqu'ils ne sont pas confrontés à un imprévu qu'ils ne sont pas capables de gérer.

Un conducteur de trains, par exemple, doit mener son convoi d'une gare à l'autre suivant un horaire bien précis, obéissant aux signaux. Il ne serait pas question qu'il improvise un autre itinéraire en fonction de ses humeurs. Mais plusieurs catastrophes ferroviaires ont lieu, car les conducteurs des trains concernés sont incapables de prendre des initiatives correctes face à un signal défectueux ou une situation météo non prévue.

Même un prix Nobel de médecine, fonctionnaire couronné de la recherche chromosomique, s'il n'a pas d'ouverture, est capable d'écrire un livre brillant scientifiquement, mais reflétant sa misère d'intelligence affective. J'en ai lu un récemment. Pitoyable.

Et si on doit sortir de la fonction ?

Très peu d'individus ont une force intérieure d'adaptation, d'improvisation, de créativité, leur permettant de sortir de leur fonction.
Pour cela, il faut être libéré de ses peurs, de ses carcans sociaux ou éducatifs.

Cela nécessite un esprit subtil, vivace, et ouvert, et surtout ... une grande âme, qui permet de discerner les bons choix.
C'est surtout l'éveil de la conscience (de soi, de la nature, des autres) qui pourrait permettre à l'homme d'évoluer dans ce domaine, mais nous en sommes encore ... loin.

Canari ou chardonneret ?

Me reposant dans un verger, au printemps 2010, j'ai été fasciné par un chardonneret qui délimitait son territoire en improvisant un chant rapide, entrecoupé de roulades et de trilles aiguës.
Le chardonneret est un passereau migrateur, qui se nourrit de graines. C'est un oiseau sauvage, non domestiqué, qui chante de manière vraiment extraordinaire avec une voix semblable à celle du canari, ce qui attire les éleveurs en cage, qui essaient de capturer les chardonnerets pour les accoupler à leurs canaris, de manière à améliorer le chant de ces derniers.

J'y retrouve la symbolique suivante :
- d'une part le chardonneret, oiseau libre, voyageur, improvisateur, véritable musicien créatif et débrouillard.
- d'autre part le canari domestiqué, pauvre 'fonctionnaire' de la cage, qui excelle dans le bien acquis communautaire et chante de manière, disons, répétitive et pas vraiment originale ...

Moi qui désire être un chardonneret libre dans la nature, j'aime l'improvisation qui va dans tous les/mes sens.
Mais je suis en danger permanent : je pourrais être attrapé par un éleveur et mis en volière avec les canaris fonctionnaires. Cela m'est déjà arrivé, mais heureusement ... un chardonneret peut trouver le moyen ... de s'échapper d'une volière !

eiggJ'ose le dire : je n'aime pas Mozart !

Mozart, Miles Davis, la Formule 1, les 4x4 citadines, les villes béton, les chroniqueurs redondants, la publicité, les restos 'in' : il est inconcevable pour la société contemporaine qu'un individu affirme ne pas aimer ces pseudo splendeurs du génie humain.
Et pourtant, c'est mon cas : tout cela m'irrite profondément car ce sont des images de réussite et d'apparence répondant aux normes d'une société fonctionnaire plus inquiète de ses succès boursiers que de l'avenir de son âme.

Rendons toutefois à la musique ce qu'elle mérite, sans me montrer excessif dans mes critiques : j'apprécie deux oeuvres que Mozart a écrites peu avant sa mort (Requiem et Messe en do mineur), dans lesquelles je ressens un véritable créateur mature reflétant enfin sa personnalité profonde et non les attentes de la cour de Vienne.

Penser ce que je viens d'écrire ci-dessus, c'est probablement permis.
Mais oser le dire et surtout le diffuser, c'est briser un tabou socio-culturel qui mérite qu'on me mette à mort !
Comme Jeanne d'Arc, qui fut traitée de sorcière après avoir libéré la France, je vais passer sur le bûcher. Mais comme elle, je crierai à l'injustice jusqu'à mon dernier souffle.

Ou plutôt non, je ne crierai pas verbalement. Je ne répondrai pas aux argumentations des mélomanes raisonnables, mais je poserai des choix de vie me permettant d'être le plus éloigné possible des prédateurs de chardonnerets : fût-il nécessaire d'habiter sur une île quasi déserte, je le ferai.

Le bon rôle ?

Se montrer, mais dans quel rôle ?
Je suis envahi par tellement de ressentis différents de ceux de la société actuelle : le monde ne m'est pas adapté, ou sans doute ... c'est moi qui ne suis pas adapté au monde ...

Trois questions surgissent alors :
- Comment rester moi-même en vivant dans ce référentiel différent ?
- Comment avoir le bon rôle par rapport aux attentes des autres, sans me renier ?
- Qui peut réellement entendre ma vérité profonde ?

Pas facile ...

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"On m'a surélevé - dans les deux sens du terme - depuis que je suis né, pourquoi la société ne me surélève-t-elle pas ?"
Anonyme

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