Mon grand oncle, Alphonse Delleur (1878-1924), a écrit des centaines de poèmes, majoritairement en alexandrins.
J'ai la chance d'en posséder plusieurs recueils.
C'était un homme très cultivé, d'une sensibilité exceptionnelle, grand voyageur, et doué de talents commerciaux et industriels.
Il habitait Liège, se maria et eut une fille, née en 1908, qui n'a pas eu de descendance.
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Voici un poème sur le Titanic qu'il écrivit en juin 1912, deux mois après le naufrage :
Le Titanic
N'a-t-on pas dit un jour, que l'Océan soumis
Par l'homme, n'avait plus à présent de colère
Dont il ne se rit point. Sa fureur passagère
N'éveillait
paraît-il même plus son mépris !
Ô bravade insensée aux grands flots indomptés ;
Comment le monde a-t-il, à semblable victoire,
Pu croire un seul instant ? Et combien cette gloire,
Ephémère et funeste, hélas lui a coûté !
Seize cents disparus, dans cette nuit d'horreur,
Dont l'abîme sans fond ne rendra pas les corps ;
Victimes de la mer, où d'innombrables morts,
Habitent pour toujours les sombres profondeurs.
Qu'était pour l'Océan cet iceberg fatal
Sur qui le "Titanic" brusquement s'est brisé ?
Un atome ... et non plus dans son immensité,
Coupable cependant, de l'accident brutal !
Gigantesque Titan, au ciel tu fis injure,
En érigeant vers lui ton front trop orgueilleux.
Ah rude est la leçon pour l'homme vaniteux,
Qui s'est cru un moment maître de la nature.
Tes frères de l'Antique, au puissant Jupiter,
Faisant le même affront furent tous foudroyés.
Comme lui, l'Elément, à son tour s'est vengé,
Et t'a couché vaincu tout au fond de la mer."
Alphonse Delleur, juin 1912
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Un poème amoureux, lors d'une visite en Ardennes :
Mélancolie dans la forêt de Magery
Sous la voûte azurée de notre Ardenne antique,
Je promène mes pas, pensif et solitaire ;
M'enfonçant sous les bois, tous pleins de doux mystère
Admirant la beauté des sites poétiques.
Dans la nature entière où il règne un grand calme
Ta pensée si douce, illumine mon âme
Et j'aperçois en rêve en un touchant mirage
Les traits vaporisés de ton charmant visage.
Oh ! j'aurais désiré, chère Mélancolie,
Te presser dans mes bras en ces joyeux moments
Pour couvrir de baisers ton beau front angélique
Et tes grands yeux plus bleus que le clair firmament.
Nous nous serions assis sur la mousse légère
Humant l'air parfumé des vivifiants pins
Et la brise si douce effleurant tes paupières
Eut teinté de carnat ton visage si fin.
Ivreux d'un doux bonheur, sous ce ciel si clément
Dans les bois apaisés à l'aspect si riant
De ta voix si suave, éveillant les échos
Tu eus mêlé tes chants à celui des oiseaux.
Nous eussions goûté là toute béatitude
Dans le miel délicieux, d'un idéal bonheur
Bercés d'un heureux charme en douce solitude
Et écoutant ravis les battements de nos coeurs.
Alphonse Delleur, 4 août 1900
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Rédigé en 1905, soit 9 ans avant la guerre 1914-18 ... :
La guerre !
Quelles sont ces rumeurs qui s'élèvent de toutes parts, ce vague appréhendement de l'imprévu, du réalisable peut-être qui remue l'immense vague humaine d'une nation ?
Pourquoi notre atmosphère paisible sourdement s'agite-t-elle, suscitant et engendrant dans les esprits un apeurement indicible, une inexplicable angoisse ?
C'est qu'une chose qui présentement semble inévitable plane sur nos têtes. Un mot terrible vient d'être prononcé, faisant à cette heure l'objet de certaines conversations.
La guerre va éclater. La guerre !!!
O cette horrible chose, ce cauchemar d'une implacable fatalité va donc étendre encore son voile de sanglante désolation sur un peuple et sur des campagnes qu'il a fallu tant de laborieuses années pour amener à leurs actuelles richesses !
Ce fantôme effrayant qui ne porte pas de nom, et qui de son arme terrible fauche en si peu de temps un si grand nombre d'existences humaines.
Notre pauvre peuple doit-il voir la riche apothéose des labeurs de toute une ascendance de générations ouvrières sombrer dans l'inexorable fatalité qui semble vouloir s'accomplir. Et pourquoi ? Quelle serait donc l'utilité, l'avantage d'une défense territoriale ? Que pouvons nous, pauvre petit peuple belge, contre la gigantesque masse des nations qui se préparent à s'entredéchirer ?
Au moindre d'effort de l'une d'elle, ne serions-nous pas le sanglant tapis sur lequel elle ne ferait que passer !
Mais Dieu permettra-t-il une semblable chose ? O puisse-t-il que s'arrangent les affaires de là-bas et que l'union des peuples ne soit pas brisée, afin que l'humanité ne souffre pas d'une nouvelle et imminente catastrophe et que cette horrible chose qu'on appelle la guerre, ne s'étende pas sur nous.
Alphonse Delleur, 1905
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