François Calay

Se libérer ... de quoi ?

Lors d'un voyage à Minsk ...

Il y a quelques années, j'ai eu l'occasion de passer quelques jours à Minsk, capitale de la Biélorussie (appelée aussi Belarus).
Soudain, au coin d'une rue, je me suis retrouvé devant une immense sculpture, sur la façade d'un bâtiment.
Cette sculpture m'a profondément interpellé, car elle date de l'époque soviétique et dépeint le concept de libération de l'idéologie communiste.

Voici la photo de cette sculpture qui a amorcé chez moi cette réflexion : "mais, profondément, de quoi cherche-t-on à se libérer ?"

minsk

Sous le marteau et la faucille, les travailleurs, militaires, hommes, femmes, tous frères, libérés des aristocrates et intellectuels éliminés en Sibérie, libérés de l'aliénation grâce au travail, fils spirituels de Marx, Hegel et de leur père Lénine, sont en marche vers la liberté, la gloire, l'expansion, la puissance, ... en route vers le paradis à venir, le temps "communiste" idéal ...
C'est impressionnant, la puissance de l'illusion !
Et surtout : c'est incroyable, ce qu'on peut faire croire et faire vivre aux gens, sous prétexte de les libérer.

Les libérations dans l'histoire

L'histoire regorge de leaders politiques ou religieux qui se mettent en place en utilisant comme prétexte la libération des peuples.
Quelques exemples parmi des centaines : la bourgeoisie libère de la monarchie, les bolcheviques libèrent du tsar, les communistes libèrent du fascisme, les capitalistes libèrent du communisme, etc.
En résumé : "Je vous libère du précédent en installant mon pouvoir".

La quasi totalité des villes ou de régions au monde arborent à plusieurs moments de leur histoire des récits de libération.
Si les hommes sont tellement touchés par cette problématique, c'est parce que la "libération" représente un archétype profond auquel la condition humaine est confrontée.

Les besoins de libération

En faisant une recherche internet sur la "libération", j'ai compris qu'effectivement il doit y avoir un sacré problème dans la manière dont l'homme vit sa condition terrestre.
On trouve des dizaines de milliers de sites, qui analysent et proposent des solutions de type psychologique, matériel, idéologique, politique, médical, militaire, pseudo-spirituel, et aussi parfois très mercantiles,

pour aider à se libérer ...
... de ses peurs, ... de l'envahisseur, ... de son éducation, ... de son enfance, ... de ses vies antérieures, ... du péché, ... du regard des autres, ... de la colère, ... de la dépendance affective, ... des maladies, ... de l'ennemi, ... des addictions, ... de son désir, ... de son orgueil, ... de sa timidité, ... du capitalisme, ... de ses pulsions, ... de ses parents, ... des émotions toxiques, ... de la rancoeur, ... de l'alcool, ... de satan, ... de la religion, ... du communisme, ... des envies, ... de ses richesses, ... de ses blocages, ... des croyances, ... des préjugés, ... de la colère, ... de la charge mentale, ... des souffrances familiales, ... de la culpabilité, ... de la dictature, ... de ses allergies, ... du karma négatif, ... de l'impérialisme, ... du pouvoir de l'argent, ... du regard de l'autre, ... de la culpabilité, ... de la peur du jugement, ... du mal-être, ... du fascisme, ... du stress, ... de ses chaînes, ... de son propre regard, ... etc. etc. etc.

Profondément, se libérer de quoi ?

Quelques sites internet proposent des libérations plus surprenantes, mais qui m'apparaissent sans doute plus proches du vrai problème, il s'agit de propositions de solutions,

pour aider à se libérer ...
... du corps, ... du temps, ... de soi, ... de la mort.

LénineLe drame humain, habiter un corps ?

Dès lors, me vint cette réflexion :
Je suis bloqué dans ma condition humaine : j'habite un corps avec ses sens et sensations, qui me donnent la perception d'un "contexte" d'existence, auquel par ailleurs je ne comprends pas grand chose, ni dans son essence, ni dans sa finitude. Ceci, en soi, est déjà une apparente absurdité !
Non seulement c'est tragique, mais ce l'est d'autant plus que ce corps et son "contexte" sont souvent un lieu de souffrance, dont j'aimerais me libérer autant que possible.

J'ai aussi une conscience, qui me renseigne sur l'existence de l'inéluctable mort, dont j'essaie d'avoir le moins peur possible.
Je suis conscient de la relativité de mes sensations, et donc je ressens intuitivement qu'il pourrait y avoir d'autres dimensions, d'autres formes, d'autres temps. Mais mes cinq sens me bloquent dans ce contexte-ci. J'ai envie de quitter ces cinq sens, j'ai l'illusion que la mort le permettrait, ce serait la libération du corps, l'entrée dans un état de Conscience pur.

Mais j'ai peur de la mort parce qu'elle est imprévisible, parce qu'elle met fin à ce que je suis en tant qu'homme charnel, et parce que la Vie, dont la compréhension m'échappe quasi totalement, pourrait avoir une continuité, dans un "contexte" très inattendu, qui me fait peur : comment pourrais-je faire confiance en un "au-delà" agréable, puisque le "contexte" présent ne l'est déjà que si rarement !
Pour fuir cette peur de la mort, j'utilise des subterfuges : éventuellement je vis intensément pour ne pas y penser, soit j'y pense et j'espère la venue d'un futur paradis.

La grande libération ou la grande manipulation ?

Cette situation, ce contexte humain, est dramatique, tragique. J'ai besoin d'une libération.
Alors, je cherche ... mais, comme souvent, je cherche erronément, souvent à l'extérieur de moi, parfois à l'intérieur mais pas à la bonne place. Le vrai problème est trop insoluble. Il est vraisemblablement totalement insoluble.

Là, m'attendent les pervers, les vampires, les vautours, les arrivistes, les dictateurs : ils ont l'art de la manipulation, l'art de proposer des libérations ... le peuple en a tant besoin ...
Alors le peuple lui donne sa confiance, et on retrouve au pouvoir des êtres comme Napoléon, Hitler, Staline, ou plus récemment un certain américain dont le prénom est identique à celui d'un ami de Mickey.

La solution ?

Essayer de vivre le plus longtemps possible, car la vie est intéressante et parfois amusante, dans un mode de vie qui permet une sérénité et une cohérence profonde.
Je suis conscient que je peux me libérer de beaucoup de choses, mais il y en a une et une seule dont je suis certain de jamais pouvoir me libérer : l'inéluctable mort .... alors, je l'apprivoise ;-)

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La vraie valeur d'un homme se détermine en examinant dans quelle mesure et dans quel sens il est parvenu à se libérer du moi.
Albert Einstein

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