Lors d'un voyage à Minsk ...
En février 2018, j'ai eu l'occasion de passer quelques jours à Minsk, capitale de la Biélorussie (appelée aussi Belarus).
Soudain, au coin d'une rue, je me suis retrouvé devant une immense sculpture, sur la façade d'un bâtiment.
Cette sculpture m'a profondément interpellé, car elle date de l'époque soviétique et dépeint toute l'idéologie communiste.
Dès 1990, j'avais visité de nombreuses villes de l'ancien bloc de l'Est (Prague, Varsovie, Budapest, Kaliningrad, Tallin, Riga, etc.).
Hélas,
dès les premiers mois après le démantèlement du rideau de fer, toute propagande soviétique fut effacée du quotidien, les pays prétendus libérés se liant à une "autre idéologie".
Je n'avais donc jamais pu voir le contexte tel qu'il était avant les évènements de la réunification Est-Ouest.
La Biélorussie ne s'étant pas rattachée à l'Europe de l'Ouest, elle a gardé cette liberté d'arborer les monuments, fresques, bâtiments et enseignes, datant de l'Union Soviétique.
La ville de Minsk, dont il restait une trentaine de maisons intactes à la fin de la guerre, fut totalement reconstruite suivant un concept Stalinien fait de colossaux bâtiments, d'immenses allées, avenues, places, trottoirs. C'est très surréaliste et ne ressemble à aucun autre lieu en Europe. Les touristes n'y abondent certes pas, et pourtant la vie y semble sereine et sécurisante, et population accueillante.
Voici la photo de la sculpture qui m'a bousculé intérieurement, et a amorcé la réflexion de cette page :
"mais, profondément, de quoi cherche-t-on à se libérer ?"
Sous le marteau et la faucille, les travailleurs, militaires, hommes, femmes, tous frères, libérés des aristocrates et intellectuels éliminés en Sibérie, libérés de l'aliénation grâce au travail, fils spirituels de Marx, Hegel et de leur père Lénine, sont en marche vers la liberté, la gloire, l'expansion, la puissance, ... en route vers le paradis à venir, le temps "communiste" idéal ...
C'est impressionnant, la puissance de l'illusion !
Et surtout : c'est incroyable, ce qu'on peut faire croire et faire vivre aux gens, sous prétexte de les libérer.
Les libérations dans l'histoire
L'histoire regorge de leaders politiques ou religieux qui se mettent en place en utilisant comme prétexte la libération des peuples.
Quelques exemples parmi des centaines : la bourgeoisie libère de la monarchie, les bolcheviques libèrent du tsar, les communistes libèrent du fascisme, les capitalistes libèrent du communisme, etc.
En résumé : "Je vous libère du précédent en installant mon pouvoir".
La quasi totalité des villes ou de régions au monde arborent à plusieurs moments de leur histoire des récits de libération.
Si les hommes sont tellement touchés par cette problématique, c'est parce que la "libération" représente un archétype profond auquel la condition humaine est confrontée.
Les besoins de libération
En faisant une recherche internet sur la "libération", j'ai compris qu'effectivement il doit y avoir un sacré problème dans la manière dont l'homme vit sa condition terrestre.
On trouve des dizaines de milliers de sites, qui analysent et proposent des solutions de type psychologique, matériel, idéologique, politique, médical, militaire, pseudo-spirituel, et aussi parfois très mercantiles,
pour aider à se libérer ...
... de ses peurs, ... de l'envahisseur, ...
de son éducation,
...
de son enfance, ...
de ses vies antérieures, ...
du péché, ...
du regard des autres, ...
de la colère, ... de la dépendance affective,
...
des maladies, ...
de l'ennemi, ...
des addictions, ...
de son désir, ...
de son orgueil, ...
de sa timidité, ...
du capitalisme, ...
de ses pulsions, ...
de ses parents, ...
des émotions toxiques, ...
de la rancoeur, ...
de l'alcool, ...
de satan, ...
de la religion, ...
du communisme, ...
des envies, ...
de ses richesses, ...
de ses blocages, ...
des croyances, ...
des préjugés, ...
de la colère, ...
de la charge mentale, ...
des souffrances familiales, ...
de la culpabilité, ...
de la dictature, ...
de ses allergies, ...
du karma négatif, ...
de l'impérialisme, ...
du pouvoir de l'argent, ... du regard de l'autre, ...
de la culpabilité, ...
de la peur du jugement, ... du mal-être, ...
du fascisme, ...
du stress, ...
de ses chaînes, ...
de son propre regard, ... etc. etc. etc.
Profondément, se libérer de quoi ?
Quelques sites internet proposent des libérations plus surprenantes, mais qui m'apparaissent sans doute plus proches du vrai problème, il s'agit de propositions de solutions,
pour aider à se libérer ...
... du corps,
...
du temps, ...
de soi, ...
de la mort.
Le drame humain, habiter un corps ?
Dès lors, me vint cette réflexion :
Je suis bloqué dans ma condition humaine : j'habite un corps avec ses sens et sensations, qui me donnent la perception d'un "contexte" d'existence, auquel par ailleurs je ne comprends pas grand chose, ni dans son essence, ni dans sa finitude. Ceci, en soi, est déjà une apparente absurdité !
Non seulement c'est tragique, mais ce l'est d'autant plus que ce corps et son "contexte" sont souvent un lieu de souffrance, dont j'aimerais me libérer autant que possible.
J'ai aussi une conscience, qui me renseigne sur l'existence de l'inéluctable mort, dont j'essaie d'avoir le moins peur possible.
Je suis conscient de la relativité de mes sensations, et donc je ressens intuitivement qu'il pourrait y avoir d'autres dimensions, d'autres formes, d'autres temps. Mais mes cinq sens me bloquent dans ce contexte-ci. J'ai envie de quitter ces cinq sens, j'ai l'illusion que la mort le permettrait, ce serait la libération du corps, l'entrée dans un état de Conscience pur.
Mais j'ai peur de la mort parce qu'elle est imprévisible, parce qu'elle met fin à ce que je suis en tant qu'homme charnel, et parce que la Vie, dont la compréhension m'échappe quasi totalement, pourrait avoir une continuité, dans un "contexte" très inattendu, qui me fait peur : comment pourrais-je faire confiance en un "au-delà" agréable, puisque le "contexte" présent ne l'est déjà que si rarement !
Pour fuir cette peur de la mort, j'utilise des subterfuges : éventuellement je vis intensément pour ne pas y penser, soit j'y pense et j'espère la venue d'un futur paradis.
La grande libération ou la grande manipulation ?
Cette situation, ce contexte humain, est dramatique, tragique. J'ai besoin d'une libération.
Alors, je cherche ... mais, comme souvent, je cherche erronément, souvent à l'extérieur de moi, parfois à l'intérieur mais pas à la bonne place. Le vrai problème est trop insoluble. Il est vraisemblablement totalement insoluble.
Là, m'attendent les pervers, les vampires, les vautours, les arrivistes, les dictateurs : ils ont l'art de la manipulation, l'art de proposer des libérations ... le peuple en a tant besoin ... tant besoin ... tant besoin ...
Alors le peuple lui donne sa confiance, et on retrouve au pouvoir des êtres comme Napoléon, Hitler, Staline, ou plus récemment un certain américain dont le prénom est identique à celui d'un ami de Mickey.
La solution ?
Il y a beaucoup de comportements humains paradoxaux, liés à la problématique décrite dans cette page, par exemple :
- pour certains, avoir le moins grand nombre d'enfants possible, voire pas du tout, pour ne pas assurer la continuité de la vie.
- pour d'autres, avoir le plus grand nombre d'enfants possible, pour
rassurer leur illusion d'immortalité.
- pour d'autres, polluer le plus possible pour arriver au même but mais avec un profit immédiat.
- pour d'autres, manipuler les foules en besoin de libération pour installer leur dictature politique ou commerciale.
- pour d'autres, vendre leur programme religieux en promesse d'un paradis céleste, de préférence avec une promesse de fin du monde proche ou immédiate.
- etc.
Et pour moi ?
Essayer de vivre le plus longtemps possible, car ma vie est intéressante et amusante, dans un mode de vie qui me permet une sérénité et une cohérence profonde.
Je suis conscient que je peux me libérer de beaucoup de choses, mais il y en a une et une seule dont je suis certain de jamais pouvoir me libérer : l'inéluctable mort .... alors, je l'apprivoise ;-)
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La vraie valeur d'un homme se détermine en examinant dans quelle mesure et dans quel sens il est parvenu à se libérer du moi.
Albert Einstein