L'INTRUSION, c'est le fait de s'introduire (par irruption), sans y être invité, dans un espace (physique, logique, relationnel) où la présence (de l'intrus) n'est pas souhaitée.
L'intrus peut être une personne humaine, un animal, un objet, et même un événement.
Le "complexe de l'intrusion" a été défini par le psychanaliste Jacques Lacan. Celui-ci a défini trois complexes : le complexe du sevrage, le complexe de l'intrusion, et le complexe d'Oedipe.
Voici comment on peut décrire cette évolution : le petit garçon se détache de sa maman qui ne l'allaite plus (complexe de sevrage), il regarde autour de lui, et, oh horreur, il découvre qu'il n'est pas seul : il y en a d'autres, la fratrie, rien que des intrus (complexe d'intrusion) et en plus, il y a même papa, le partenaire privilégié de maman (complexe d'Oedipe).
Certaines personnes, durant toute leur vie, ressentent la majorité de ceux qui les entourent comme ... des INTRUS !
Comment cela ?
Mon projet de vie, l'équilibre cohérent que j'essaie de mettre en place, le désir d'harmonie, de paix, de silence dont j'ai besoin, tout cela est constamment perturbé par l'intrusion de gens ou d'événements qui n'ont pas leur place.
Mille choses quotidiennes m'irritent au superlatif : pourquoi certains voisins tondent-ils leur pelouse le dimanche ? Pourquoi construit-on des maisons au bord des grand-routes ? De quel droit des avions à haute altitude font-il un ronronnement permanent au dessus de ma maison ? Pourquoi un film télévisé est-il entrecoupé de publicités ? Pourquoi une autoroute quasi vide est-elle limitée à 120 km/h ? Pourquoi le téléphone sonne-t-il à l'heure du repas ?
Beaucoup de gens sont totalement indifférents à ce problème, ils ne connaissent pas l'intrusion. Voici ce qu'ils répondent : "il faut bien que les voisins tondent le dimanche puisqu'ils travaillent le samedi", "c'est moins cher de construire le long des grand-routes pour le raccordement des canalisations", "il faut bien que les avions volent pour que les gens puissent se déplacer", "il faut bien que la télévision passe de la publicité pour subsister", "c'est normal de limiter la vitesse sur les autoroutes sinon ce serait dangereux", et le top du top : "quand on téléphone à l'heure du repas on a plus de chance que la personne soit chez elle".
Ces gens n'ont pas l'air dérangés.
Ils expliquent tout par "Il faut bien que ...", ou encore "ça se fait, c'est donc normal", etc.
L'aspect positif du complexe de l'intrusion, c'est que ceux qui en souffrent se forgent des personnalités très fortes, des êtres qui osent être différents. Ils agissent suivant leurs propres critères de vérité et suivent leur propre chemin, tels des pèlerins de l'impossible, au risque d'être taxés de personnes asociales et d'éternels récriminateurs.
Non, il n'est pas normal que des gens ou des situations s'imposent à ma vie alors qu'ils n'ont rien à y faire. Je ne le tolère pas. Cela me fait fonctionner sur un mode constamment aux aguets, basé sur la méfiance plutôt que la confiance : quel élément intrusif va-t-il encore me tomber dessus aujourd'hui ?
Exemple d'une famille ne souffrant pas de l'intrusion :
Quelqu'un m'a dit récemment : "mon téléphone portable est allumé 24 heures sur 24, mes enfants et mes amis peuvent me téléphoner quand ils veulent, jour et nuit, je suis à leur service, c'est d'autant plus important puisque que ma fille est enceinte, et que nous allons accoucher fin du mois". Cette même famille a d'ailleurs une maison en enfilade, dans laquelle ils traversent leurs chambres à coucher respectives pour se rendre à la salle de bains. Ils vont en vacances dans un pays méditerranéen dans lequel "on peut parler et se sentir familier de tout le monde, puisqu'on est dehors et qu'il fait chaud."
Ils se posent d'ailleurs souvent la question : "est-ce que cela se fait ?", car si les autres le font, on peut le faire, c'est cela le critère de leurs choix existentiels.
Pour moi c'est inimaginable. Je ne saurais jamais subsister dans un tel mode de fonctionnement : j'aurais l'impression de renoncer à mon être le plus profond, à ma personnalité propre.
Alors, comment survivre ?
Je suis dans un certain confort lorsque je suis entouré de gens
sensibles à l'intrusion, car ils vivent leur vie de manière semblable à la mienne et me servent de filtre spontané face aux intrus.
Certains grands choix de ma vie se sont faits spontanément dans ce sens. Malheureusement chaque caractéristique a son revers, et les personnes blessées par l'intrusion ne sont généralement ni ouvertes, ni confiantes, ni généreuses, ni spontanées.
Je suis d'ailleurs très attiré par les pays du Nord, dont les populations ont des comportements plus distants, et où je ressens un plus grand respect d'autrui. Est ce le froid, qui oblige à rester chez soi et qui rend les choses si calmes ?
Pour achever cette réflexion, voici une photo prise dans une petite île au large de l'Ecosse, lieu quasi sans intrus dans lequel je me trouve au moment où j'écris cette page :
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"L'histoire ne tolère aucun intrus, elle choisit elle-même ses héros et rejette sans pitié les êtres qu'elle n'a pas élus, si grande soit la peine qu'ils se sont donnée."
Stefan Zweig