François Calay

Désir ... ou illusion ?

"On en vient à aimer son désir et non plus l'objet de son désir."  F. Nietzsche

Le désir serait-il vraiment le sel de l'illusion ?
Le désir, moteur de l'éternelle survie ?
Le désir, grand leurre de l'inaccessible bonheur ?

Le désir est caractérisé par la recherche d'un objet de désir (une chose, une personne, un lieu, un but, une situation, ...) que l'on imagine être source de satisfaction.
En d'autres termes : lorsqu'on se représente en pensée (consciente ou inconsciente) un objet susceptible de donner satisfaction, on éprouve ce qu'on appelle "le désir".

Le désir est donc une recherche de la réduction d'une tension issue d'un sentiment de manque. "Ce qu'on n'a pas, ce qu'on n'est pas, ce dont on manque, voilà l'objet du désir", disait Platon.

Le désir est de nature contradictoire, car il y a d'une part un immense plaisir à le vivre ... mais il est toujours accompagné de souffrance, d'un sentiment de brisure ou de privation, ainsi que d'une retombée qui est parfois dramatique.
Le désir, pour exister, a besoin d'obstacles, d'interdits, sinon il est trop vite assouvi et perd son sens. Ainsi, plus le désir est contrecarré, plus il est intense, et donc plus vive pourra en être la satisfaction.
C'est donc un bonheur réel de vivre le grand plaisir du désir, mais cela se paie tout autant en souffrance. Paradoxe bien difficile à vivre !

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L'homme, être de désir, est voué à supporter une triste errance dans l'insatisfaction ...
Si nous nous contentions de vivre suivant nos besoins instantanés, comme les animaux semblent le faire, nous serions probablement beaucoup plus heureux. Mais nous, hommes, avons une conscience imaginative qui nous pousse à désigner, désirer, assouvir certains besoins spécifiques suivant une méthode que nous choisissons.

Le désir est aveugle et déraisonnable, car l'homme calque son désir sur le désir des autres, dans l'ignorance de ce qui pourrait lui procurer une satisfaction. A la différence de l'animal, l'homme n'a en effet pas d'instincts qui lui indiquent ce qui pourrait convenir à ses besoins réels et qui le guideraient vers une juste recherche d'assouvissement.

Lorsque le désir est relativement assouvi, celui-ci retombe, pour renaître sous d'autres formes. Ce n'est pas que le besoin alors disparaisse, mais il se métamorphose et se met à vivre de sa vie propre, une vie attisée par l'imagination. Et, comme ce qui est donné ne peut évidemment pas rivaliser avec ce qui est imaginé, le sujet ne va pas se contenter de ce que son milieu de vie naturel lui offre : il va le transformer de manière à le conformer à son attente.
Cette constatation fait ressortir le côté énigmatique et ambivalent du désir, qui serait plus de l'ordre d'une "idée" impossible à satisfaire, pouvant facilement virer à l'obsession.

C'est ainsi que, par le désir, l'être humain devient 'producteur'. Il n'est pas un simple 'consommateur' de ce qui existe déjà, comme le sont les animaux. Le monde de l'homme, le monde humain, est un "monde de désir".

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Certaines philosophies suggèrent de chercher le bonheur dans l'absence de désir, alors que notre système économique tend à éveiller un maximum de désirs pour vendre ses objets commerciaux. Il n'est pas aisé de se situer dans un tel dilemme.
D'autant plus que lorsqu'on essaie de supprimer volontairement un désir encore non assouvi en se séparant de l'objet convoité, il est possible qu'il tombe, effectivement, mais le risque est grand qu'il s'installe dans l'imaginaire qui va essayer de l'assouvir virtuellement, plongeant le sujet dans une grave aliénation le séparant totalement de sa vie présente. C'est une sorte de grande illusion.

Le désir ne serait-il pas lié au besoin qu'à l'homme d'essayer de combler son vide intérieur ?
Un sentiment d'esseulement est inscrit dans nos âmes, provenant sans doute de la naissance et de la mort dont nous sommes conscients.
Car on est toujours seul avec soi-même. Il y a un vide permanent dans l'attente relationnelle de l'homme. Ce vide participe probablement à la naissance du désir, qui donne l'illusion qu'on sera comblé, heureusement accompagnée d'une jouissance de plénitude.
Les couples fusionnels, qui essaient de se combler l'un l'autre par leur relation très proche et quasi permanente, représenteraient une image de ce fonctionnement.

Alors, comment faire pour limiter les dégâts ? Probablement pas en se laissant entraîner vers l'extrême : laisser libre cours à tous ses désirs. C'est l'insatisfaction garantie, puisque le désir se régénère. Mais pas non plus dans l'autre sens : les refuser tous par renoncement ou ascétisme. Comment pourrait-on vivre pleinement sa vie en refusant ce qui est prévu par notre essence pour lui donner goût ?

La meilleure attitude est probablement la tempérance : une régulation du désir par la raison, au moyen de la volonté.
Le grand art, pour un humain, est de savoir ce qui lui convient le mieux.
Choisir c'est renoncer, et il y a des choix qui ne sont, disons ... vraiment pas faciles ...

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"Le désir de l'homme trouve son sens dans le désir de l'autre." (J. Lacan)

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