François Calay

Début de la survie, le 21 août 1982

Cette page fut écrite en 2006
Il y a les événements qu'on raconte, ... et ceux qu'on ne sait pas raconter.
Il m'aura fallu 24 ans pour avoir la force d'écrire cette page, dans laquelle je vais vous partager mon accident et ces détails que personne ne connaît ...

----------------------------------------------------------
On entend parfois l'une ou l'autre personne parler d'un accident ou d'une maladie, ... quelle belle histoire ! Ce fut terrible, mais c'est gai à raconter, détails à l'appui !
Certains même se mettent en valeur par une histoire plus ou moins réinterprétée, et attirent de cette manière la compassion et l'amour des autres.
J'ai observé cela aussi bien dans des clubs, que dans des groupes psychologiques, ou dans des communautés spirituelles.

Moi-même, j'ai vécu cette expérience : je suis capable de vous raconter en détail mon accident de moto près d'Adenau (en Allemagne) d'octobre 2005 : côtes cassées, pied cassé, genou ouvert ..., y compris la manière dont je me suis rendu aux urgences en pleine nuit, et ce qui s'y est passé.
Mais c'est un accident banal, c'est de la petite histoire, facile, clôturée, ... On peut en parler … ça m'amuse … j'en suis fier … on peut même en rire !
Après ce type d'accident, on continue à vivre, comme avant ....

----------------------------------------------------------

Récit de mon accident :

Par contre, l'autre accident, celui de 1982, celui-là ne se raconte pas. Raconter réveille les douleurs ... et le vrai souffrant se tait.

Et puis, il n'y a pas de version officielle, pas d'expertise qui confirme ce qui s'est passé, rien de sûr, sinon mes propres souvenirs et ceux de mon épouse, ainsi qu'une série d'éléments qui, par la suite, nous ont permis de reconstituer les événements :

explosionJe travaillais dans ma fosse avec une disqueuse, pour démonter certaines pièces d'une vieille Citroën GS (une voiture construite de manière infecte), et tout a subitement explosé.
Pourquoi ?
Parce qu'un jerrycan d'essence, qui se trouvait à mes pieds, a explosé : il était ouvert et les étincelles de la disqueuse y avaient pénétré.

J'étais dans le feu, sous la voiture, la couleur jaune des flammes avait envahi toute la fosse.
J'ai cherché la sortie, une petite échelle en fer. Je ne l'ai pas trouvée de suite, mais, après une hésitation, un dernier élan de survie m'y a conduit.
J'en suis sorti comme une torche vivante, tous mes vêtements en feu, j'ai hurlé, ameutant même des voisins très éloignés qui sont accourus.
C'est mon épouse qui m'a éteint avec une couverture.

Puis sont venus les pompiers, l'ambulance ... Je n'ai pas perdu conscience, ni dans l'ambulance, ni au service des urgences. Je me souviens avec précision de tous les détails de ces moments qui auraient pu être les derniers instants de ma vie.
J'avais aussi compris l'importance de l'accident, je savais que j'entrais dans la survie, je savais qu'à jamais - si j'arrivais à éviter la mort - mon existence serait modifiée.
A ce moment-là déjà, je savais que je serais mutilé, handicapé à vie ...
J'avais 26 ans.

C'était le 21 août, un samedi, en soirée, il faisait chaud, j'étais extrêmement fatigué, à bout de toutes mes capacités.
Il ne faut jamais travailler quand on est très fatigué car un ensemble de circonstances doublé d'une inattention peut mener à la catastrophe. Ce fut mon cas.

J'ai passé six mois à l'hôpital, cloué à un lit duquel je ne me suis jamais levé, avec toutes les sondes et monitorings imaginables, un nombre incroyable d'anesthésies (plus de vingt), de complications, etc.

Lorsque je suis rentré à la maison, en février, il neigeait, j'ai dû tout réapprendre : je ne savais plus ni marcher, ni manger, ni même plier les doigts. Je redécouvrais mon corps et son cadre de vie.
Je ne reconnaissais pas bien les gens. J'avais perdu en partie la mémoire de mon passé, une forme d'amnésie qui s'est plus ou moins bien estompée avec le temps.

Inutile de dire qu'après cela, entrer dans un hôpital, même pour rendre visite à un ami, m'a été presque impossible pendant plus de dix ans car cela réveillait tous les souvenirs, physiques et psychiques ...

Quand je pense qu'il existe actuellement des groupes d'entraide de brûlés, qui retournent à l'hôpital pour leur réunion mensuelle dès leur sortie d'hospitalisation .... je rêve ... La médecine a fait d'immenses progrès dans ce domaine-là, notamment en maintenant les brûlés dans un coma artificiel durant les trois premiers mois.
J'ai assisté à quelques réunions de ces groupes. J'avais l'impression d'être un extraterrestre. Il n'y avait rien de commun entre eux et moi.

Tous droits réservés - © F. CALAY 2004-2023 - Me contacter ou me soutenir ? cliquez ici