François Calay

Histoire d'un sevrage

sevrageLe sevrage est l'action d'arrêter une substance ou un comportement ayant entraîné une dépendance (addiction).
Ceci ne s'applique bien entendu que pour des produits consommés sans intermittence depuis un certain laps de temps, et pour lesquels l'organisme a modifié son fonctionnement, les récepteurs naturels étant stimulés en abondance par le produit, et les émetteurs naturels ayant quasiment été mis au repos par sa présence en quantité relative aux besoins.

Personnellement, je me suis sevré à plusieurs reprises de chacun des produits suivants : tabac - café - alcool - benzodiazépines - opiacés et morphiniques.

Première étape : reconnaître que j'ai un problème. C'est essentiel, sinon le sevrage est impossible. D'où l'importance pour les groupes AA de définir en début de réunion "Je m'appelle ... et je suis alcoolique" et pour les groupes NA : "Je m'appelle ... et je suis dépendant". Je ne m'étendrai pas ici sur cette problématique, puisque tel n'est pas le sujet de cette page, malgré l'importance essentielle que cela représente, et qu'il ne faut jamais sous-estimer.

Chacun de mes sevrages a été précédé d'un évènement très important et souvent tragique, ce qui explique la motivation acharnée que j'ai eue à les faire, et qui m'a permis d'aller jusqu'au bout.
Car sans cette prise de conscience très forte, je n'aurais eu ni besoin, ni envie, de me sevrer, ce qui me semble être le cas de beaucoup de gens.
Ces facteurs déclenchants ont été entre autres : accident de roulage, amnésie, problèmes cardiaques, problèmes pulmonaires, humiliation profonde, ressentis insupportables (physiques ou psychiques).

La démarche consiste donc à stopper, soit lentement (benzodiazépines), soit de manière tranchée (tabac) la consommation du produit en question.
Plus les modifications chimiques dans le corps ont été importantes (opiacés par exemple), plus le sevrage est délicat et progressif.
La première semaine, la dose est réduite suivant une certaine proportion, par exemple 4 comprimés par jour au lieu de 6, puis la semaine suivante on passe de 4 à 3, puis de 3 à 2, ensuite de 2 à 1.
C'est alors un moment dangereux : le sevrage de 1 à 0 doit se faire en passant par 1/2 puis 1/4. Or la conscience s'éveille et on est en possession du produit, absolument non protégé pour la rechute ... car par la suite, il est essentiel de ne plus être en possession du produit, pour éviter la rechute. Si j'ai de l'alcool dans la cave, j'y descendrai à la première contrariété. Par contre, si je dois prendre ma voiture, trouver un magasin, en acheter, etc., le temps passe et ma colère peut retomber d'elle-même. (principe de vie AA et NA)

Pourquoi une telle lenteur dans la diminution ?
Pour éviter les affres appelées
- "symptômes du sevrage", qui se caractérisent par un certain nombre de symptômes neurologiques centraux et périphériques, neuropsychiques, neurovégétatifs et métaboliques.
A savoir : insomnies (jusqu'à 3 semaines à raison de 2h de sommeil par nuit !), anxiété, cauchemars, hallucinations, tremblements, frissons, sudation, décharges électriques musculaires, état d'hyperstimulabilité ou état dépressif, troubles sensoriels, dépersonnalisation, distorsions perspectives, déréalisation, ... (tout cela, je l'ai vécu)

et le
- "phénomène de rebond", qui est une augmentation des symptômes déjà présents avant la dépendance.
Par exemple : lorsqu'on arrête de prendre des antidouleurs morphiniques, l'organisme ne fabrique pas de suite ses endorphines naturelles. Chez moi, elles reviennent après 10 à 20 jours au minimum. C'est une période durant laquelle je pleure quotidiennement de mal. Il faut une très forte motivation ... car il suffit alors de reprendre un seul comprimé, et tout est ... résolu ... jusqu'au prochain sevrage ...

La difficulté d'un sevrage ne se situe pas toujours dans la composition du produit : pour moi, le tabac a été relativement plus difficile à sevrer que l'alcool. Je pense qu'il ne faut juger personne, ni dans un sens, ni dans l'autre : le héros n'est pas toujours celui qu'on pense.

Chaque sevrage est constitué de deux aspects :

- le sevrage physique, qui est finalement assez rapide (entre quelques jours et 3 semaines, suivant les produits).
Si le sevrage est très lent, il n'y a pas trop de risques de vivre les horreurs. Mais parfois, j'ai préféré aller très (trop) rapidement, car la dépendance psychique le nécessitait : je savais que ma motivation n'était pas suffisante pour attendre trop longtemps, et que je ne devais pas rester en possession du produit, sous risque de rechute (cela s'est passé bien entendu lors de certains sevrages 'ratés').
Quand le sevrage physique est trop rapide, le mot 'affre' n'est pas suffisant. Je ne saurais décrire l'horreur des hallucinations visuelles, qui sont des lignes verticales qui suivent le mouvement des yeux et interprétées par le cerveau comme étant des serpents sur le sol, des lézards grimpants les murs ou des araignées au plafond.
Pire encore, sont les rêves hallucinatoires : on rêve qu'on fait un cauchemar puis qu'on s'éveille, mais on ne s'éveille pas, c'est le rêve qui continue, et il s'y passe des choses horribles (double cauchemar, en quelque sorte), d'où on s'éveille par des cris ou parfois seulement quand l'histoire se termine ...
Puis il y a ces états psychiques horrifiants de dépersonnalisation et de déréalisation : le ressenti est impossible à décrire : une sorte d'état de vertige dans lequel tous les muscles apparaissent tendus, le cerveau se trouve dans une spirale, la lumière est aveuglante, on s'entend parler, les sons sont modifiés, il y a une sorte de dissociation du corps et de la pensée. C'est vraiment ce qui m'angoisse le plus : il s'agit d'une sorte d'"état d'enfer". Je l'ai traversé, chaque seconde qui passe apparaît une éternité, qui peut durer plusieurs jours et plusieurs nuits sans sommeil, cela semble immuable, c'est véritablement atroce : beaucoup plus difficile pour moi que lorsque j'étais entièrement brûlé sur mon lit d'hôpital. Ce furent de loin les heures les plus dures de ma vie, qui m'ont obligé à trouver au fond de mon âme des bribes de volonté dont je ne soupçonnais pas l'existence. Cette volonté, c'est celle de ne pas reprendre le produit, de continuer le sevrage, de traverser le plus impossible.
Sinon, les sevrages physiques sont parfois 'assez faciles'. Soyons encourageants et positifs !
Mais ne doivent-ils pas être durs, de manière à exercer sa volonté pour devenir plus forts face à la rechute ? ...

- le sevrage psychique, qui est extrêmement lent, et qui nécessite parfois plusieurs années.
C'est ... l'état de manque, qui, s'il devient obsessionnel, conduit à rechuter, à changer de produit ("changer de comptoir", comme disent les AA), à avoir des désirs ou comportements suicidaires, etc.
Il faut savoir qu'au moment où on "retrouve ses esprits", ... rien n'est résolu ... Tout commence réellement ... à ce moment là ... la réalité revient, les erreurs commises auparavant, la honte, l'humiliation, la nécessité de volonté, de gestion des choses, la confrontation relationnelle, l'acceptation de soi, l'impossibilité de s'enfuir dans le produit.
Il est donc essentiel de suivre une thérapie sérieuse, de rejoindre des groupes de dépendants (AA, NA et autres), et de ... de changer les choses nécessaires, d'apprendre à accepter les choses qu'il est impossible de changer, et la sagesse de connaître la différence entre ce qu'on peut changer, et ce qu'on ne peut pas changer.
Car l'abstinence du produit doit pouvoir faire face à des stress et des émotions très fortes, faute de quoi la rechute est inévitable.

Abstinence totale ?
On m'a parfois demandé quel type d'ascèse m'amenait à aller jusqu'à ne plus boire d'alcool ni même de café.
La réponse est très simple : je ne sais pas m'arrêter, lorsque je ressens l'euphorie. Or la caféine suffit pour me donner cette euphorie, et ne la sous-estimons pas !

Il m'est assez facile de vivre dans l'abstinence totale d'alcool, de tabac, de café, de médicaments psychotropes et autres produits.
Par contre, lorsque j'y touche et que "l'euphorie s'installe, je ne veux plus la quitter, et il est alors quasiment indispensable de prendre le deuxième verre et les suivants." (expression AA).

Mais ...
La vie nous propose une panoplie de moyens naturels pour nous sentir heureux et en développer les ressentis : l'eau, le vent, les couleurs, les sons.
Pour moi, c'est le bricolage, le thermalisme, les voyages, la voile, la musique, la photographie, le silence intérieur, la grandeur de l'univers ...

Il est absolument essentiel de remplacer le "manque" par des activités très agréables et positives. Il n'y a aucune ascèse, que du contraire !
Je pense que l'horreur, c'est plutôt ne pas être libre au point de faire des kilomètres à pieds dans la pluie pour aller acheter un paquet de cigarettes (cela m'est arrivé).

Alors, l'ascèse ?
Mais pourquoi pas ? N'y a-t-il pas au travers de tels mots une véritable réalité ... qui conduit au vrai bonheur ?

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"La morphine me donne l'illusion d'être invulnérable."
L'auteur

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